Où est passée notre humanité ? La maltraitance des personnes âgées
Où est passée notre humanité ? La maltraitance des personnes âgées
« Où est passée notre humanité » ? Une ex-infirmière en Ehpad témoigne.

Une expérience saisissante sur les soignants en burn-out et les séniors en souffrance

Il y a deux ans, alors qu’elle travaille dans un Ehpad ardéchois, Mathilde Basset, jeune infirmière de 25 ans, fait l’expérience de plusieurs situations difficiles : sous-effectifs, rythmes de travail infernaux, négligences envers les résidents… elle rentre chez elle épuisée, avec le sentiment douloureux de s’éloigner des valeurs humanistes qu’elle a toujours défendues. De cette vie professionnelle mouvementée, elle sort un livre « J’ai rendu mon uniforme », témoignage émouvant sur les soignants en difficulté et les séniors en souffrance. À l’occasion de la journée internationale contre les maltraitances qui aura lieu le 15 juin prochain, nous l’avons rencontrée ; l’occasion de revenir sur son expérience et d’évoquer la situation des séniors en Ehpad.

Livre J'ai rendu mon uniforme

Cette idée de rendre votre uniforme d’infirmière est la conséquence de plusieurs situations qui vous ont fait réagir. Pouvez-vous nous en parler ?

Lorsque je travaillais dans cet Ehpad au Cheylard (07), j’étais la seule infirmière pour 99 patients. C’était largement insuffisant. Je passais mes journées à courir sans réussir à tout faire. J’aurais aimé investir le champ relationnel, prendre le temps de parler et écouter les résidents, mais j’étais prise dans une cadence infernale. Échanger quelques banalités devenait un automatisme ; je n’étais pas complètement dans la relation.


Au point de vous emporter contre un résident…

Oui, je devais donner des médicaments à cet homme et au moment où j’entre dans sa chambre, personne n’était là.
Je le retrouve quelques minutes plus tard chez une voisine. Excédée, je lui dis « ça fait 5 minutes que je vous cherche, j’ai 98 autres patients derrière vous, ça ne va pas le faire ! ». En quelques secondes, je réalise que je suis irrespectueuse. Je me demande où est passée mon humanité et lui présente des excuses en fondant en larmes. La petite dame à coté me regarde avec douceur et ajoute « mais on vous donne tellement de travail »…


Une charge de travail si importante qu’il vous est arrivé de faire des soins dans les couloirs de l’Ehpad…

Oui, comme on court sans cesse sans avoir le temps de se poser avec les occupants, il m’est arrivé de faire un pansement à une dame dans un couloir plutôt que prendre le temps le lui faire dans sa chambre. En agissant ainsi, j’ai tout de suite compris que par manque de temps, mais aussi de personnel, on arrive parfois à bafouer les libertés fondamentales de certains patients ; et dans ces libertés fondamentales, l’intimité occupe une place de choix. Tous ces agissements m’éloignaient de mes valeurs : l’écoute, la bienveillance, l’empathie…


Les sous-effectifs, les rythmes infernaux, tous ces aspects peuvent-ils mener à la maltraitance ?

Dans mon cas, je parle plutôt de négligence. Car mes réactions et mes attitudes n’avaient pas pour but de faire du mal ou de nuire aux résidents contrairement à la maltraitance où il est question d’actes qui portent volontairement atteinte à l’intégrité physique et/ou morale de la personne. Malheureusement, l’actualité nous rappelle que les violences physiques existent en Ehpad ; et rien ne devrait les justifier. Je considère d’ailleurs que la maltraitance n’est jamais le résultat de la faiblesse d’une équipe mais d’une personne. Soit l’équipe n’a pas décelé la fragilité d’un de ses membres, soit elle protège le soignant. Plutôt que de s’arrêter ou de partir, le soignant reste en poste, avec tous les risques que l’on connaît.

seniors


Pour celles et ceux qui envisageraient de faire séjourner leurs parents en Ehpad, quels critères devraient-ils considérer lors du choix d’une maison de retraite ?

J’invite les familles à visiter plusieurs établissements à différents moments de la journée afin de découvrir les différentes atmosphères. Ne discutez pas qu’avec la direction : posez des questions à l’ensemble du personnel en lien avec les résidents (il peut même s’agir du cuisinier !). Posez des questions sur les effectifs et sur le ratio soignants-résidents. Enfin, demandez si l’établissement compte un(e) infirmier(e) de nuit ; rares sont les structures à pouvoir se le permettre.


La question de l’éloignement familial doit-elle aussi être prise en compte ?

Si la famille est à proximité et peut régulièrement rendre visite à un proche, cette solution est en effet à privilégier. Mais l’Ehpad peut être situé à proximité de l’ancien domicile du sénior. La personne pourra alors y retrouver des proches (amis ou voisins) et préserver ses capacités cognitives en renforçant le tissu social.


Selon moi, un soignant ne remplacera jamais un lien amical ou familial et les animations ne font pas tout. Ce qui compte pour nos aînés, c’est vraiment leur entourage. Même les bébés et les enfants : ils apportent de la vie dans l’établissement !


En cas de négligence ou de maltraitance, quels sont les signes qui doivent alerter ?

Si un élément doit alerter, il est plutôt de nature comportementale. Si la personne allait bien avant d’aller en Ehpad et que très vite, elle rencontre des difficultés d’adaptation, s’éteint, se replie, ou montre des signes de désorientation ou de début de démence, c’est mauvais signe. Pour les marques sur le corps, attention : les personnes âgées marquent très vite. Il suffit qu’elles se cognent contre un barreau de lit et un hématome peut apparaître, menant la famille à une mauvaise interprétation.


Prenez le temps d’observer et d’échanger avec le personnel soignant. Mais gardez à l’esprit que le séjour à l’Ehpad n’est pas toujours adapté, notamment pour les personnes qui ont encore une bonne mobilité.

Photo article maltraitance


Quel type d’alternative conseillez-vous ?

Pour les séniors encore très autonomes, les appartements thérapeutiques sont tout à fait adaptés, en sachant d’ailleurs que des aides-soignants peuvent venir pour la toilette et que des infirmier(e)s se rendent sur place pour les soins.


Le maintien à domicile est une option intéressante également. Une fois encore, quand la mobilité le permet, privilégiez ces approches. Les pouvoirs publics ont encore beaucoup de travail pour replacer le sujet du vieillissement au cœur du débat public. C’est aussi l’objectif de mon livre : faire un appel du pied aussi bien aux résidents qu’au gouvernement afin de faire converger la cause et améliorer le modèle. Le vieillissement de la population est un sujet très important ; il y aura plus de 20 millions de plus de 65 ans en 20501 : une politique volontariste et à grande échelle est absolument nécessaire pour bien vieillir et être bien accompagné.


J’ai rendu mon uniforme : une infirmière en Ehpad témoigne, aux éditions du Rocher.




1 Institut national de la statistique, 2017.